On sort d’une crise sanitaire, qui a démontré l’utilité du numérique dans nos vies, pour entrer dans une nouvelle crise, géopolitique, qui souligne à son tour l’importance de la souveraineté numérique, tant nationale qu’européenne. Cette situation pourra-t-elle aider la France et l’Europe à avancer plus rapidement sur la question de la souveraineté numérique ?
Toutes les crises accélèrent et bouleversent nos méthodes, et pas uniquement sur le numérique. C’est toujours sous la contrainte que nous avons le plus évolué. Il y a trois mots qui émergent de ces crises et qui guident les infrastructures numériques : la souveraineté, parce qu’on va chercher à ne plus dépendre de technologies étrangères ; la résilience des infrastructures, parce qu’on doit s’adapter, et la cybersécurité. Cette nouvelle crise se traduit aussi par un choc pétrolier. Je pense que cette année et l’année prochaine, nous aurons une croissance moindre que prévu.
Quels seront les axes majeurs de cette nouvelle mandature pour Infranum ?
En termes d’organisation, nous aurons deux nouvelles commissions : une sur les datacenters de proximité et une autre sur les infrastructures mobiles.
Mais les sujets de fond qui vont structurer notre action, c’est la finalisation du plan THD et les chantiers d’avenir. Pour le Plan Très Haut Débit, nous serons en fin d’année à 89 % du nombre de prises FTTH programmées. Il restera à déployer les 11 % restants.
Pour ce qui est des chantiers d’avenir, nous en avons quatre : le développement du marché entreprises, le développement des territoires durables et connectés, le développement des infrastructures mobiles et le développement de nos entreprises à l’international.
Les territoires durables et connectés, c’est un axe fort et stratégique qui va bénéficier d’un grand mouvement de la part des collectivités et qui va être un relais de croissance pour notre industrie.
Nous avons également une volonté forte de nous investir dans les infrastructures mobiles, parce que nous pensons que la 5G n’ira pas partout s’il n’y a pas un accompagnement de la part des pouvoirs publics.
Le développement à l’international, c’est pour beaucoup l’Afrique, ou c’est aussi l’Europe ?
C’est aussi l’Europe. Il faut savoir que 25 % des prises FTTH déployées en Angleterre et en Allemagne le sont par des entreprises françaises. Nous avons une telle avance sur les infrastructures numériques, en termes d’organisation de filière, qu’on sait mieux répondre que les entreprises locales aux attentes des opérateurs. Nous sommes également très présents en Irlande.
Cette avance sur les infrastructures a permis d’exporter le modèle. Qu’est-ce qu’on peut faire aujourd’hui pour atteindre le même résultat en termes d’industrialisation des offres à destination des territoires durables et connectés ?
Deux conditions sont nécessaires pour que le marché se développe. Il faut d’une part que l’expression de la demande des collectivités soit la plus aboutie et la plus concrète possible et, de l’autre côté, que la réponse industrielle soit de qualité qui et la plus accessible possible. Nous travaillons sur ces deux aspects. Sur le premier aspect, nous essayons de solliciter les pouvoirs publics pour qu’ils aident la demande des collectivités à s’exprimer de façon rationnelle. Nous avons face à nous des élus qui ont envie de se lancer dans les territoires durables et connectés, mais entre l’idée et le projet, l'écueil est énorme. L’écueil relève de deux aspects. Le premier, c’est la capacité qu’a l’élu à traduire une pensée politique en réalisation. Le deuxième écueil relève de l’organisation de la collectivité, qui fonctionne encore en silos, alors que les projets de territoires durables et connectés sont naturellement transverses.
Nous demandons donc à l’Etat, au gouvernement, d’accompagner les collectivités, comme cela avait été fait il y a 20 ans lors du lancement des RIP (Réseaux d’Initiative Publique) de première génération. La Caisse des Dépôts était venue voir les départements qui partaient dans toutes les directions pour les aider à cofinancer leurs études et donner un cadre de développement à travers un cahier des charges un peu formaté.
Dans les projets de territoires durables et connectés, cela permettra de rendre le sujet concret et abordable pour les élus, et cela leur permettra, même s’ils avancent projet par projet, de penser à chaque fois au « coup d’après ».
L’étude de la DGE à laquelle vous avez contribué montre que la plupart des projets de territoire démarrent par une verticale métier avant d’en envisager d’autres. Cette réalité de terrain est-elle compatible avec votre volonté de porter un modèle industriel, peut-être plus global, qui est celui d’Infranum ?
Il y aura toujours des projets intégrés comme ceux de Dijon et d’Angers, mais moins que de projets qui procèdent de manière incrémentale. Aujourd’hui, il existe une vingtaine d’usages clés autour des territoires connectés, qui permettent à n’importe quel type de collectivité de se lancer. Ce que nous allons essayer de faire à travers la commission « territoires durables et connectés » d’Infranum, c’est donner quelques clés de lecture autour de ces usages clés et de lister les pré-requis en termes d’interopérabilité, d’évolutivité, de cybersécurité. A partir du moment où ces pré requis sont écrits et spécifiés lors d’une première réalisation, ils permettent par la suite de connecter d’autres briques.
Si on prend par exemple un projet d’éclairage public, vous pourrez plus facilement déployer des parkings intelligents ou des capteurs de pollution atmosphérique dans la mesure où vous l’aurez anticipé. L’approche industrielle n’est donc pas en opposition avec les projets « brique par brique », bien au contraire. L’idée, comme nous l’avons fait pour la fibre, c’est de proposer à terme à d’autres pays l’excellence de la filière française.
Depuis deux ou trois ans, on sent que le côté « durable » prend un peu le dessus sur le côté « connecté » dans la motivation des projets. Vous partagez cette vision ?
Oui, et c’est très bien. C’est une tendance de fond de la société et les deux sujets sont interdépendants. Nous pensons que l’imbrication des deux doit être mieux organisée, beaucoup mois silotée. Le numérique est un support tranversal au développement durable.
Cela fait partie des propositions aux candidats à l’élection présidentielle, que nous allons auditionner le 23 mars prochain. Nous appelons à ce que les préoccupations environnementales intègrent beaucoup plus le développement numérique et réciproquement.
Sur la 5G, on sent encore des réserves au sein des collectivités. Et plus tellement sur les questions de risque sanitaire, mais plutôt sur l’impact du numérique sur l’environnement. Est-ce que mettre davantage de numérique, ce n’est pas augmenter mécaniquement cet impact sur l’environnement ?
On peut démontrer que le bilan carbone des projets numériques est positif. Le numérique est un vrai vecteur d’accompagnement pour l’environnement et pour la réduction de l’empreinte carbone. Même sur la 5G. La 5G est beaucoup moins énergivore que la 5G que la 4G, à condition qu’on remplace les antennes et qu’on ne les additionne pas…
La consommation au gigaoctet de données transporté est moindre, mais le volume sera beaucoup plus important. Les opérateurs mobiles reconnaissent que leur consommation électrique globale va augmenter avec la 5G….
La consommation énergétique augmente si on maintient toutes les antennes, pas si on remplace les technologies les unes par les autres. Or, on est en train démonter la 2G et la 3G. La 5G consommera moins d’énergie en volume que la 4G, même si les usages augmentent. La 5G va être le support naturel de l’internet des objets. Et il n’y a pas de meilleur allié pour l’environnement que l’internet des objets.
L’étude ADEME-Arcep démontre que la contribution du numérique à l’empreinte carbone est lié à 80 % aux équipements. Et dans ces 80 %, les trois quarts sont liés à la construction des terminaux, notamment des smartphones. Le reste se décompose en deux parties : l’hébergement des données (les data center) et les réseaux.
La contribution globale mondiale du numérique aux l’émissions de GES (Gaz à effet de serre) est actuellement de 2,5 %. En 2050, elle sera de 6,7 %. La 5G, c’est donc une toute petite partie, qui va certes être multipliée par trois, mais il faut travailler sur tous les fronts. Le vrai débat qu’on doit avoir, c’est celui sur l’obsolescence programmée des équipements et sur leur recyclage.
NB : Philippe Le Grand interviendra le 24 mars prochain à l'occasion des Rencontres des datacenters, des territoires et des données souveraines organisées par Smart City Mag.