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Francisco Chinesta : « Nous débutons les démonstrateurs du programme DesCartes »

Jumeau numérique

Le programme collaboratif DesCartes, porté depuis octobre 2021 pour une durée de cinq ans par la filiale du CNRS à Singapour CNRS@CREATE, vise à développer une solution permettant à Singapour de se transformer en smart nation grâce à l’intelligence artificielle. Après trois ans de développements logiciels, les acteurs participants se préparent à la mise en œuvre de projets dans le cadre d’expérimentations. L’occasion de faire le point sur les avancées avec Francisco Chinesta, directeur du programme, professeur à l’Université des Arts et Métiers et directeur scientifique chez ESI Group, spécialiste des logiciels de prototypage virtuel.

 

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Francisco Chinesta, directeur du programme, professeur à l’Université des Arts et Métiers et directeur scientifique chez ESI Group, spécialiste des logiciels de prototypage virtuel. Crédit photo: CNRS@CREATE

Nous sommes à mi-parcours du programme et à la veille du début des expérimentations. Pouvez-vous rappeler l’objectif de ce programme ?

Francisco Chinesta: Le gouvernement de Singapour, via son agence National Research Foundation (NRF), a créé le campus Create dans l’objectif de réunir les universités les plus prestigieuses au monde, dont le CNRS, afin d’aligner les travaux de recherche avec les besoins sociétaux. Dans ce cadre, le CNRS@CREATE porte le programme DesCartes. Doté d’un budget de 35 millions d’euros sur cinq ans, il réunit depuis octobre 2021 une vingtaine d’institutions académiques, une douzaine d’industriels et plus de 80 chercheurs, des mathématiciens, des informaticiens, des juristes mais aussi des philosophes.

 

Ensemble, nous développons une plateforme logicielle dotée d’intelligence artificielle hybride (de l’IA combiné avec des données de capteurs et des connaissances physiques) permettant de réaliser le jumeau numérique du territoire pour répondre à divers besoins. Le gouvernement de Singapour a été intéressé de l’appliquer dans cinq domaines : l’environnement, les smart grid, la maintenance prédictive des infrastructures de la ville via drones, la mobilité par drones et la gestion des situations de crise.

 

Où en est-on aujourd’hui ?

Nous avons terminé de réaliser le jumeau numérique du quartier de Marina Bay, à Singapour. Nous avons des simulateurs fidèles de toutes les conditions environnementales impactant le quartier. Les développements techniques pour les projets d’application sont matures, nous sommes désormais en train de prévoir des démonstrateurs. Ces deux prochaines années, nous allons vérifier la pertinence de nos modèles en situation réelle et si les solutions déployées apportent à la ville un retour sur investissement.


Pouvez-vous détailler les contours du projet lié à l’environnement ?

Ce projet porte sur le confort thermique urbain. Alors que les bulletins météo s’appliquent dans un rayon de 40 km, nous donnons un ressenti sur un mètre, à l’échelle du piéton. Dans chaque rue du quartier, nous sommes capables d’indiquer la température, et donc d’identifier les ilots de chaleur. Nous pouvons aussi estimer la puissance des vents et de prédire ceux du lendemain. Ces derniers ont un impact sur la sensation thermique, le bruit ou l’évacuation des émissions de CO2 par les véhicules thermiques.

 

La solution nous permet d’informer les citoyens, pour leurs itinéraires, sur la trajectoire la plus fraîche l’été ou celle avec la meilleure qualité de l’air. Autre usage envisagé : si un accident se produit dans le port de Singapour et cause un nuage toxique, grâce à notre simulation des vents, nous pourrons signaler la trajectoire du nuage et son impact dans la ville. Ce même modèle de simulation des vents nous sert, dans le projet de mobilité par drone, à adapter les itinéraires de ces véhicules volants en fonction des courants d’air.


Techniquement, comment avez-vous travaillé sur ce projet ?

Le challenge a été d’agréger les données nécessaires à entraîner les algorithmes. Nous veillons à n’utiliser que la bonne donnée au bon endroit. Car la data, comme l’alcool, ne doit être consommée qu’avec modération pour ne pas qu’un projet soit une aberration écologique. Nous utilisons les prédictions météo, les données réelles en ville d’une poignée de capteurs et de l’IA. Des softwares calculent l’acoustique, d’autres l’état des matériaux. Les simulations sont réalisées via l’outil OpenFOAM d’ESI Group. Tout ce qu’on développe est agnostique et peut être visualisé sur un tableau de bord, sur une maquette 3D ou par des lunettes de réalité augmenté, grâce aux développements de la société Immersion.


Est-ce que les projets expérimentés à Singapour pourraient être dupliqués en France ?

Absolument. Un projet n’est pas forcément dupliqué à l’identique, il faut l’adapter aux contraintes du territoire, mais ces derniers peuvent tous l’adopter. C’est d’ailleurs ce que l’on a fait à Paris, au moment des Jeux olympiques. Nous avons développé en un mois une application, nommée Stay Fresh in Paris, en collaboration avec les Arts et Métiers et la société d’ingénierie Expleo, pour indiquer à l’utilisateur l’itinéraire le plus frais pendant les Jeux dans la capitale française.

 

Application Stay Fresh in Paris. Crédit photo : Expleo

L’application proposait gratuitement une carte thermique détaillée du centre-ville localisant les points d’eau ou les brumisateurs. Quelques centaines de personnes l’ont utilisée. Cela montre qu’une application peut être concrétisée rapidement à partir de nos travaux de recherche. Aucun problème technique ne freine l’adoption des projets. Si un projet n’est pas déployé, c’est en raison de la réglementation et de l’acceptabilité. C’est ce qu’on observe pour la mobilité volante. Les drones sont très sophistiqués techniquement mais l’utilisation ne peut se faire n’importe comment en ville.


Quels enseignements en tirez-vous sur l’apport de l’IA pour les collectivités ?

Une ville est très complexe, elle regroupe de nombreux systèmes. Grâce à l’IA, une collectivité peut anticiper, prendre de meilleures décisions et agir plus vite. Elle ne doit toutefois pas s’automatiser entièrement mais se doter juste assez d’intelligence artificielle pour assurer le confort et la sécurité des citoyens. En février prochain, nous organiserons un événement auxquelles les collectivités et les régions seront conviées pour leur décrire l’apport de l’IA dans les secteurs que nous expérimentons, mais aussi en dans l’agriculture ou la détection de feux de forêt.

 

Avec l’IA, on peut savoir, en fonction de l’état de la végétation et du vent, quelle est la direction que prendra un incendie et à quel rythme il avancera et ce pour informer les pompiers en temps réel. Nous travaillons par ailleurs sur la manière de repenser par la simulation un territoire en ville du quart d'heure, ou sur ce qui se passe si la température continue de monter et nous menons des projets à Singapour autour des digues.


Quelle sont les perspectives du programme DesCartes, au-delà des démonstrateurs ?

Nous sommes en train de négocier le renouvellement du programme DesCartes pour cinq années supplémentaires, de 2026 à 2031, afin d’étendre les démonstrateurs à l’ensemble de la ville, et non plus seulement au quartier de Marina Bay. Nous voulons également être capables de mener les projets de bout en bout, de la collecte de la donnée à son analyse par intelligence artificielle et à sa restitution aux citoyens.

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