L’usage de l’intelligence artificielle se concrétise dans les collectivités territoriales. Une commune sur deux a ou va tester un système d’IA, selon le baromètre Data Publica. Et le principal usage identifié concerne des projets d’administration et de gestion interne. « 30% des secrétaires de mairie vont partir à la retraite à l’horizon 2030. Sans elles, une mairie ne peut pas fonctionner et se pose la question de la transmission de leurs compétences. Nous voulons participer à cette transformation », affirme Stéphane Manou, directeur général Collectivités et Administrations chez l’éditeur Berger-Levrault et adjoint au maire de Baziège (31).
Dans ce contexte, une tendance forte chez les fournisseurs de solutions pour collectivités est la spécialisation de leurs IA. Illustration de cette tendance, Berger-Levrault et l’ESN Klee Group, ont chacun décidé de passer leur solution d’IA à grande échelle afin de répondre à des besoins métier spécifiques.
Berger-Levrault redéveloppe ainsi les briques de sa gamme de produits WeMagnus en SaaS destinée aux secrétaires de mairie pour y intégrer un assistant conversationnel. De son côté, l’ESN Klee Group conçoit depuis un an et demi, pour une grande métropole française (dont le nom est toujours confidentiel, ndlr), un chatbot dédié au secteur de l’urbanisme, nommé UrbanBot, pour analyser les plans locaux d’urbanisme (PLU).
« L’idée est de donner facilement accès aux citoyens, mais aussi aux professionnels (architectes, notaires, agents municipaux, etc.) à ces documents volumineux et complexes à comprendre, notamment par leurs termes légaux techniques. L’utilisateur n’aura qu’à poser sa question et le chatbot ira chercher la réponse dans le bon document », justifie Justine Guégan, consultante senior data scientist chez Klee Group. Leur objectif à tous les deux est de favoriser l’efficacité des agents territoriaux.
Rendre les données compréhensibles par le LLM
Chez les deux prestataires, le développement de leur IA s’est fait en RAG (retrieval augmented generation, génération augmentée de récupération, une technique basée sur le traitement du langage naturel NLP), sur les produits WeMagnus pour Berger-Levrault et sur un corpus documentaire liés à l’urbanisme pour Klee Group. Le LLM utilisé pour le modèle de langue est celui du français Mistral AI (Large 2 pour Klee Group, Small 3 pour Berger-Levrault).
« Le LLM ne suffit pas. Nous avons une galaxie de petits modèles d’IA pour découper la documentation, l’enrichir ou encore la qualifier avant d’entraîner le LLM avec. Plus de 27 000 documents sont traités », précise Mustapha Derras, directeur de la Recherche et de l'Innovation Technologiques chez Berger-Levrault. Toutes les données sont traitées en interne.
De son côté, Klee Group a travaillé avec « un dataset d’évaluation comprenant des questions et réponses prédéfinies pour vérifier la pertinence du chatbot », indique Justine Guégan. Les données sont hébergées sur le cloud Azur et sur des serveurs européens. Les équipes de Klee Group ont dû rendre les règles d’urbanisme compréhensibles par un LLM. « Par exemple, il a fallu faire comprendre à quoi correspond le fait d’effectuer un changement de destination, qui signifie pour un LLM un voyage, alors qu’en urbanisme il s’agit de modifier l’usage pour lequel un bien a été construit, comme transformer un local commercial en logement », cite Justine Guégan.
Des solutions déployées progressivement
Les deux acteurs sont en phase de passage à l’échelle pour vérifier que le modèle tient la charge. « Le lancement est un énorme enjeu. Nous n’avons pas le droit à l’erreur pour ne pas perdre la confiance des utilisateurs », rappelle Justine Guégan. Un écueil qu’a rencontré notamment Lucie, l’intelligence artificielle générative développée par l’éditeur Linagora pour le secteur de l’éducation. Klee Group a donc choisi d’ouvrir l’utilisation du chatbot en trois temps, d’abord aux agents de la ville en début d’année, puis aux professionnels au printemps et enfin aux citoyens à l’été 2025.
De même, Berger-Levrault a d’abord intégré l’IA « à sa solution de gestion financière, expérimentée par une centaine de clients, dont les mairies d’Argenvieres (18) et de Chamelet (69) », souligne Stéphane Manou. La nouvelle solution de ressource humaine sera testée quant à elle cet été. « Nous travaillons sur un module pour la gestion des délibérations en conseil municipal. L’IA proposera des modèles et vérifiera que les propositions de loi sur lesquelles ces délibérations s'appuient sont toujours d'actualité, pour éviter aux secrétaires de mairie de tout construire de zéro. Nous proposerons également un outil pour retranscrire les échanges des conseils municipaux dans le procès verbal de ce dernier », annonce Stéphane Manou. Grâce à ces projets, l’ETI a été lauréate de l’appel à manifestation d’intérêt international « IA pour l’Efficience » du Sommet pour l’Action sur l’IA, en février 2025.
Ces deux expériences permettent de dégager une série de conseils pour le développement d’IA pour le service public. « Avant tout, les documents sont à structurer et à formater car une IA ne comprend pas les codes couleur ou les graphiques, comme ce que l’on peut trouver en urbanisme », met en garde Justine Guégan, qui alerte également sur le budget : « C’est extrêmement coûteux d’entraîner un LLM sur un domaine spécifique. Il faut rationaliser le coût par rapport à la qualité. ChatGPT s’est révélé dix fois plus cher que Mistral sans forcément offrir de meilleurs résultats. »
Pour Stéphane Manou, la cybersécurité by design prime : « Il faut sensibiliser les utilisateurs à l’IA mais aussi à la sécurité des données en recourant à divers outils. Une révolution est en route mais il faut s’y engager en gardant la tête froide », conclut-il.
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